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1 octobre 2014 3 01 /10 /octobre /2014 16:41
LAÏCITE  et  APPELLATION  d’ ORIGINE

Les mots sont comme les idées, ils se déplacent, se retournent, s’effacent, reviennent. Parfois on les retrouve dans une situation inattendue : par exemple, comment la laïcité peut avoir un lien avec nos aliments et nos boissons se référant à une appellation d’origine ?

Le dictionnaire nous donne un point de départ avec l’origine du mot « laïcité » caractère provenant du latin :ecclesisaticus laïcus et du grec Laikos de Laos : peuple

Laïque : chrétien baptisé qui ne fait pas partie du clergé. Les laïques (ou laïcs) sont appelés à aider les prêtres dans l’enseignement religieux. Les prêtres sont autorisés à revêtir l’habit appartenant aux laïcs.

En 1873 le laïque devient indépendant de toute confession qui maintient à l’école une neutralité totale entre les opinions philosophiques et religieuses.

Ainsi ce mot en a vu de toutes les couleurs, tentant à limiter l’influence de la vie religieuse sur la vie publique, ce qui paraît être une bonne chose pour tous, être laïque n’empêchant pas de croire, même si ce n’est qu’à un brin d’herbe que la rosée du matin a embelli.

Et puis la déclaration des Droits de l’homme de 1789 a bien été faite sous les auspices de l’« Etre Suprême »

Autre remarque : Henri VIII pour laïciser prend le droit de diriger l’Eglise d’Angleterre – une simplification qui dure mais qui, à mes yeux, est moins claire que la pensée laïque de la France

La notion d’Appellation d’Origine accompagne nos attitudes alimentaires et ceci a toujours existé. Hesiode ne disait-il pas déjà « donnez-moi du vin de Byblos » parce qu’il lui reconnaissait un langage sensoriel particulier qui convenait à ses vécus de table et lui apportait

un plaisir.

De même dans nos campagnes, en recherchant dans nos tiroirs poussiéreux, on va retrouver des menus de mariage d’avant 1900 où sont indiqués les vins selon les origines des terroirs de lieux-dits facilement identifiables sur les relevés cadastraux.

Oui, l’homme a toujours été et demeure attiré, pour les laisser venir alors dans son intimité corporelle, par des mets et boissons s’identifiant à un zénith, à une géographie, à une histoire afin d’être alimenté en non seulement nourri.

C’est là une attitude de liberté dans ses choix, une approche laïque puisque attachée aux lois de la nature sous la conduite d’un homme et non pas celle d’un dogme publicitaire, technologique, financier.......

Jamais on ne soulignera assez cette précision et honnête authenticité associées à un fromage, un fruit, un vin...... se référant à un terroir.

Cette force de l’aliment a évidemment tenté l’homme pour falsifier, frauder. En 1877, le Professeur RITTER de la Faculté de Nancy écrivait dans un ouvrage sur « les vins colorés par la fuchsine ».

De 1873 à 1874 les boissons vendues par les débitants, quoique souvent allongées d’eau, n’étaient pas falsifiées d’une manière éhontée.

En décembre 1875, je constatais à mon grand étonnement que les vins vendus dans certains cabarets et servis dans les casernes contenaient de la fuchsine et même de la fuchsine arsenicale. ......

Je tiens avant tout à protester contre la dénomination d’ »empoisonneur » donnée aux marchands de vin de Nancy alors que c’est dans le midi que cet « empoisonnement a eu lieu ».

Dans tous les domaines alimentaires, les fraudes étaient courantes et il a fallu attendre la loi de 1905 pour commencer à mettre un peu de clarté, et en 1906 le long combat de Joseph CAPUS, sénateur de Gironde, pour arriver à une remise en ordre en matière viticole de principes qui furent mis ensuite à la disposition de tous les produits se référant à une origine en France comme à l’étranger. Ainsi, si, en 1935, la notion d’appellation a pris naissance, c’était pour lutter contre les fraudes et l’altération des conditions du marché.

Je peux en parler aisément, car appartenant au Laboratoire départemental de Poitiers à la Faculté des Sciences, j’ai pu me rendre compte par de nombreuses analyses de toutes ces fraudes dans les années 1950 : le lait écrémé ou mouillé, les vins aromatisés, les fromages de chèvre faits avec un mélange de lait de chèvre et de vache, les épices épurées de leur principe actif, les cafés enrobés, les feuilles de thé associées à d’autres végétaux...........

Que vient faire la laïcité dans tout cela. Pour moi, c’est très simple.

Le Sénateur CAPUS avait pris la précaution de confier la gestion des appellations d’origine à celui qui assurait le travail de la terre, qui cultivait la vigne, ramassait le raisin conduisant son passage du « sucré » collant au « sucré spiritueux pour obtenir le Vin, boisson qui se conserve tout en continuant à vivre, identifié par rapport à son terroir, et son origine

Dans les années 1964, les vins ordinaires se vendaient pratiquement aussi chers que les vins d’appellation. Certes, ils répondaient à la règlementation du Code du Vin mais étaient faits de « coupages » souvent économiques (donc dépendant de règles de marché). Ils étaient distribués sous le nom d’une marque, les millésimes souvent neutralisés. Et puis, après les évènements d’Algérie, a été supprimée la notion de « vin médecin », la disparition de Bercy, de la Halle aux vins.

Enfin, sans violence, un air d’authenticité, de laïcité est apparu.

On a voulu boire un vin que l’on puisse nommer. La viticulture a développé la mise en bouteilles sur les lieux de production, supprimant les coupages, la notion de millésime a été reprise et le négoce s’est adapté, les coopératives se sont appliquées. On a dit non, non pas aux idées religieuses ou philosophiques mais non aux techniques et pratiques qui font perdre et altèrent le profil sensoriel du vin d’origine, non à la publicité qui dénature. On a proposé une authenticité parfaitement reconnaissable.

Les hommes d’un même terroir ont eu la liberté de produire selon les mêmes principes, un vin, un fromage..... qui se revendiquent d’une origine.

Ensemble ils ont rapproché leurs observations, leurs savoir-faire souvent plus que centenaires de sorte que la terre de l’endroit se retrouve à l’intérieur de leur produit, ils ont respecté les millésimes, les saisons, ils ont indiqué le temps de maturation , de mûrissement des produits et grâce à tous ces soins on peut goûter un Comté de 2 , 3 ans provenant du lieu de pâture, ou boire des vins de 10, 20 ans et plus , permettant de dire que 1976 fut une année de sècheresse (souvenez-vous de l’impôt sècheresse).

Oui, pour tout ce concept né de la terre, les hommes se sont regroupés assurant une origine, ils sont devenus frères, partageant les mêmes gestes, les mêmes soucis, les mêmes joies. Oui, ils ont pu devenir ces laïcs de la terre qui refusent les dogmes de la chimie comme ceux des marchés.

Oui, Joseph CAPUS peut se dire « j’avais préparé un bon sillon ».

Evidemment, tout n’est pas parfait, mais quel progrès. Cela nous permet d’éviter la monotonie que l’on va retrouver dans la plupart des aliments manufacturés

Là, pas de surprise, de la sécurité certes, de l’hygiène et des prix. Mais le plaisir, l’image sensorielle qui fait notre mémoire, notre culture !

La liberté de choix de celui qui achète ainsi est altérée, la fraternité de ceux qui produisent est gommée, l’égalité des marchés détruite par des concentrations qui imposent, qui suppriment des aires de production et des terroirs authentiques de proximité. La vie sociale, culturelle, économique d’un village, d’une région disparaît. Il suffit de voir nos communes perdre leurs commerces et devenir des espaces fantômes , nos espaces agricoles en jachère, nos prairies sans vaches laitières, nos maisons vides qui s’écroulent lentement, chassant les hommes qui s’entassent dans les villes, les isolant et les appauvrissant.

On oublie que la laïcité est faite par des laïcs, chacun étant un, chacun pouvant prêter sa tunique à l’autre afin que celui-ci apprenne à le connaître, à l’estimer.

C’est un peu le ferment d’une société qui la rend sympathique et cultivée. Avec 100 laïcs paysans qui mettent leurs tripes dans ce qu’ils font en respectant la « gueule de l’endroit » on rendra le sourire au monde, bien plus qu’avec des produits normés, médicalisés, inventés, copiés, sous la direction d’hommes diplômés entourés d’employés aveugles. Ces produits n’ont aucune histoire, seulement une côte en bourse et l’appui de la publicité pour imposer leur consommation.

Ainsi, l’AOC , avec le temps a t-elle fait que chacun soit égal tout en ayant des besoins à satisfaire différents selon les régions, les saisons, enfin maître de sa vie.

L’arme, dans tout cela, n’est pas douloureuse, il suffit de vouloir goûter le produit pour pouvoir l’apprécier et chacun, de par sa laïcité, doit le faire à son rythme, à sa convenance, en toute liberté.

En notion de droit, la dégustation dans l ‘acte commercial pour le vin, l’huile d’olive et autres aliments et boissons est précise »il n’y a pas de vente tant que l’acheteur n’a pas goûté »

On doit cette disposition à une pratique venant de l’Antiquité et reprise dans le code civil (article 1587). et cette pratique existe toujours au restaurant où le sommelier vous fait goûter le vin avant de le servir. Il n’y pas encore longtemps, il en était de même pour le fromage. Mais sous couvert d’emballage, on a aseptisé nos attitudes et supprimé notre droit à la laïcité. On a oublié qu’avant, disons les années 1900, la chaîne alimentaire était conduite et négociée à partir des examens sensoriels déterminant les propriétés organoleptiques des aliments, mais aussi que la finalité d’un aliment ou d’une boisson est de satisfaire les besoins du consommateur.

Or, le goût n’existe que si les stimulations traitées par nos 5 sens en consommant provoquent une image cérébrale que le consommateur en fonction de ses acquis sensoriels va ensuite traduire par le verbe

Il est certain que les économistes, les juristes, les matérialistes sont agacés par cet aspect, prétendant que la dégustation est tout à fait subjective. Mais ils oublient que ce n’est qu’en vivant, qu’en goûtant et ainsi en apprenant à se connaître qu’on rend la chose objective en la nommant. Cela demande un peu d’effort mais procure tellement de plaisir pour soi-même, pour le partager avec les autres et ainsi affirmer ce désir de liberté.

« Sensoriellement, le principe de laïcité gustative repose sur la prédominance du droit de la terre. L’endroit dicte l’origine du produit sur des données naturellement objectives » ((Perico LEGASSE)

Jacques Puisais janvier 2011

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